Retour sur les raisons d’être du collectif Pince-Oreilles avec Pierre Horckmans
Collectif protéiforme
Pierre Horckmans raconte les dix années d'existence du collectif Pince-Oreilles. Entre rencontres, voyages et partage : ce collectif indépendant et bouillonnant, devenu aussi label, rassemble une vingtaine d'artistes aux multiples esthétiques : dessin, musique, technique.
Pourrais tu nous donner un bref historique de la naissance du collectif Pince-Oreilles. Est-il né de l’envie ? de la nécessité ? de la rencontre ? Quelle énergie a fait émerger ce projet ?
Le collectif Pince-Oreilles est né il y a 10 ans sur une initiative du guitariste Romain Baret et du saxophoniste Gregory Sallet. C’est un collectif de musicien·es principalement issu·es des musiques jazz et improvisées. L’idée de départ était de nous regrouper pour défendre nos musiques et nous entraider. Petit à petit on s’est structurés puis on a créé le Label Pince-Oreilles en 2014.
Le collectif Pince-Oreilles a plus de 10 ans maintenant, c’est une longue aventure. Avant de nous en dire plus à ce sujet, comment dirais-tu que cette expérience collective a influencé la personne que tu es aujourd’hui, en tant musicien mais aussi en tant que personne ?
En toute franchise, sans notre collectif et sans le partage et le soutien que les membres d’une telle structure apportent, il me semble que j’aurais été tout simplement incapable de défendre nos créations sur le long terme. Au delà des échanges artistiques qui nous enrichissent et nous influencent énormément, la mutualisation des moyens et de l’organisation technique et administrative mise en place au fil des ans m’ont beaucoup aidé.
Aurais-tu un épisode marquant dans l’histoire du collectif à nous faire part ? 10 ans c’est beaucoup d’histoires, mais parfois des souvenirs persistent plus que d’autres.
En effet en 10 ans, le Pince-Oreilles a vécu pas mal d’aventures. L’une d’entre elles, certainement une des plus stimulantes pour moi a été, peu de temps après notre arrivée à Lyon en 2015 (à l’origine, le Pince-Oreilles était un collectif Grenoblois), sa participation au « Collision Collective », sorte de rassemblement sauvage inter-collectifs autour de concerts, workshops et autre tables rondes. La découverte de ces nombreux autres collectifs (Dur et Doux à Lyon, le Collectif Oh à Strasbourg, Coax à Paris, 1name4acrew à Nantes pour ne citer qu’eux…) défendant eux aussi une musique libre et revendiquant de nouveaux moyens de diffusion et de distribution, nous a fait beaucoup de bien. On a eu l’occasion depuis de faire de nouvelles rencontres hyper enrichissantes outre atlantique notamment avec le collectif Argentin Creatividad en movimiento puis avec le Movimiento cultural Jazz a la calle en Uruguay.
« Je pense sincèrement que si quelque chose peut contribuer à sauver nos sociétés à la dérive il faut plutôt chercher du côté du collectif, de l’art et des émotions, mais certainement pas du côté de l’individu, de l’argent et du profit. Alors on fait tout notre possible pour exister, jouer, partager, tant qu’on le peut. »
Le collectif est composé de musicien·nes mais aussi de comédien·nes, illustrateur·rices, technicien·nes. Quel est l’intérêt d’une telle diversité ?
Rien ne s’est imposé : cette diversité est née de rencontres et de coup de cœur au fil des projets. Que ce soit avec les dessinateurs-trices Benjamin Flao et Coline Llobet, les comédiennes Lola Giouse et Maud Chapoutier, les danseurs-ses Raphaël Billet, Eleonore Pinet et Benjamin Coyle, l’idée est à chaque fois de servir au mieux le propos artistique de nos différentes créations. Au delà d’une simple juxtaposition de différentes disciplines, le regard sur les autres arts élargit notre imaginaire et notre champ d’action. Ça demande en général bien plus de temps de création et ça rend la programmation parfois plus difficile mais ça libère surtout de nouvelles énergies.
On perçoit aussi dans le collectif une volonté de proposer des alternatives au sein de votre environnement culturel : « son tremblement nourrit la volonté de lutter contre la frénésie et le dérèglement de notre société. », peut-on même lire dans votre présentation. Comment est-ce que ces intentions se traduisent au sein de vos projets ?
Développer modestement nos petits univers sonores nous permet de garder le cap et de partager ce qui nous anime à savoir nos amours et nos émotions. C’est pas toujours bien efficace économiquement parlant et c’est justement ça que je trouve le plus intéressant : parvenir à déplacer nos valeurs ; exister indépendamment de la notion de profit ou de succès. Je vais pas faire le topo habituel et chercher à expliquer qu’on vit une époque charnière où les grandes vérités qui guidaient jusqu’ici nos sociétés sont profondément ébranlée… que la crise sanitaire que nous venons de traverser illustre très bien les dangers qui nous menacent nous et notre environnement… que ça devient difficile de nier cette réalité particulièrement anxiogène et décourageante. D’autres vous parlerons de tout ça bien mieux que moi, mais je pense sincèrement que si quelque chose peut contribuer à sauver nos sociétés à la dérive il faut plutôt chercher du côté du collectif, de l’art et des émotions, mais certainement pas du côté de l’individu, de l’argent et du profit. Alors on fait tout notre possible pour exister, jouer, partager, tant qu’on le peut.
On dit que la vie d’artiste n’est justement pas de tout repos. Il faut apprendre à gérer aujourd’hui son projet et déployer un champ très vaste de compétences au delà de la création artistique : administratif, réseaux, communication, suivi de projets…Comment as tu abordé ces choses à titre personnel en tant que musicien et comment est ce que le collectif y apporte (peut-être) des réponses ?
Oui, c’est assez difficile pour un artiste seul de faire vivre ses projets tout en gérant la création, les financements, la diffusion, l’administration, la communication, l’organisation des tournées. On vit dans une jungle administrative assez délirante… mais à plusieurs, ça peut fonctionner, c’est là tout l’intérêt du collectif. Dans un premier temps, ça permet simplement de faire face, puis en persévérant, on se structure, on se réparti les tâches ou on apprend à les confier. C’est pas toujours facile, mais la plupart du temps c’est vraiment enrichissant. Ça apporte une meilleure compréhension du milieu culturel dans lequel on vit et ça permet de persévérer et d’éviter les écueils.
« Oui, c’est assez difficile pour un artiste seul de faire vivre ses projets tout en gérant la création, les financements […] mais à plusieurs, ça peut fonctionner, c’est là tout l’intérêt du collectif. »
Pour conclure, on notera que le collectif édite sa propre discographie de chaque projet. Quel intérêt pour vous d’avoir la main sur cette production phonographique ? Quelle place occupe le label au sein du collectif ?
Disons qu’après avoir vaguement sonné aux portes d’un paquet de labels plus ou moins proches de nos esthétiques, le choix de l’autoproduction s’est rapidement imposé. On a donc créé notre propre label en 2014 pour les groupes du collectif et de musiciens proches du collectif. Il nous a permis de sortir de manière assez anarchique au début un bon paquet d’albums et petit à petit on a appris à s’organiser, notamment au contact de notre distributeur InOuïe Distribution. On sortira avec eux le 20ème album du label Pince-Oreilles le 20 novembre prochain, il va s’appeler « Les animaux qui n’existent pas » et c’est les nouvelles compositions de Watchdog avec les textes de Maud Chapoutier et on a hâte ! Nous travaillons depuis janvier 2017 à la distribution physique et numérique de nos nouveaux albums avec « l’AMAP culturelle » : In Ouïe Distribution.
Bon et pour terminer, un peu de bonté. T’écoutes quoi en ce moment à nous conseiller ?
Alors, je dois la sauvegarde de mon équilibre mental durant la difficile période de confinement à la musique pygmée qui me fascine et me bouleverse. (En particulier les polyphonies vocales des pygmées Mbenzele de Centrafrique). J’ai pas mal usé le dernier album du trio Colombien Los Pirañas Historia Natural. J’ai également découvert African Electronic Music 1975-1982 du musicien Camerounais Francis Bebey chez Born Bad Records et redécouvert l’album de Katerine, Francis Et Ses Peintres – 52 Reprises Dans L’Espace.