Regular Girl
Quelqu’un a dit un jour de Regular Girl que si Chet Baker avait eu l’occasion de l’entendre jouer, il serait sans hésitation tombé sous le charme de sa musique. Une image bien singulière, quand on pense à ce qui peut réunir ce monument du jazz à cette fille ordinaire. Nous entrons dans la troisième décennie du XXIe siècle et Regular Girl fait de la folk à guitare depuis le Vieux Continent. Nous, nous sommes là. Déboussolés dès la première écoute, comme à la dérive sur les vagues qui nous séparent de ces deux univers outre-Atlantique, ces deux siècles et ces esthétiques musicales que le temps semble avoir élimer.
Il y a cependant avec Regular Girl ce rapport au temps et à l’espace qui refait surface. Depuis notre présent densifié d’expériences éphémères, il y a dans la musique de Regular Girl quelque chose que l’on sait de permanent. À l’air du numérique, de l’intelligence artificielle et de l’omniprésence saturée de la musique, le timbre de sa voix et le minimalisme de sa guitare font surface en nous comme un chuchotement dans le brouhaha.
Et c’est peut-être ainsi que Chet Baker fait son apparition dans sa musique : malgré notre évolution excessive, le passé a laissé en nous des empreintes tout aussi invisibles qu’indélébiles. Il y a donc l’héritage de Chet Baker et il y a aussi la mélancolie. Elle opère, sans aucun doute, mais sans faire appel aux ténèbres. On se dit jusqu’à un moment de notre vie, nous attendions les jours heureux, alors qu’ils étaient justement en train d’opérer sous nos yeux. Que la musique est cette chance de pouvoir les emporter avec soi. Dans le présent et dans le futur. Et qu’une simple fille ordinaire peut encore arriver sans crier gare et retourner nos tripes comme des géants ont pu le faire il y a quelques décennies.